POLYMORPHA ARTIFICIALIS

Morphogenèse synthétique


Compte-rendu d’expérience

14.07.25 : dans le cadre d'un projet photographique un prompt* engendre accidentellement une forme primaire organique. Il semble que c’est la répétition élevée du prompt qui a fini par générer l'anomalie. Est-il possible de faire évoluer cet organisme par un processus similaire de répétition ?

Le protocole est le suivant :
* Le prompt est une consigne textuelle donnée à l'IA dans le but d'obtenir la génération d'un visuel.
** L'entraînement est un espace de mémoire au sein de l'IA dans lequel les visuels de référence sont conservés pour servir à orienter l'application des prompts.
À propos du prompt initial :
il contient la description d’un costume en latex noir, un caractère massif et géométrique, recourbé sur lui-même, une texture de cire fondue, un trou, des reflets pétrole, un fond rose dégradé. La seule modification effectuée au départ est le remplacement du terme « costume » par « organisme » afin de limiter les développements parasites.

• forme initiale
• prompt créant accidentellement un organisme primaire
• j’intègre l’image à l’entraînement de l’IA et le prompt est relancé

• il faut seulement 40 générations avant de voir des différenciations significatives apparaître
• l’organisme se redresse et un orifice se forme
je n'espèrais pas un développement si rapide, j'ai l'impression d'assister à une naissance

• les 2 premières phases de l’évolution sont ajoutées à l’entraînement comme pour les inscrire dans sa génétique
• il faut 80 générations pour passer aux évolutions suivantes
• l’organisme se referme, subit une torsion et commence à se teinter plus fortement en rose, semblant absorber la teinte du fond
comme en génétique il faut du temps pour laisser le hasard faire son œuvre

• introduction d’un paramètre rose dans le prompt pour mesurer l'influence de sa teinte
• 40 générations
• un « bras » de l’organisme se teinte entièrement en rose

• 40 générations supplémentaires
• je tente d'injecter un paramètre dégradé rose, mais l’organisme régresse fortement ; je n’intègre pas cette évolution à l’entraînement afin de ne pas la reproduire
• je produis ici le résultat le plus accablant
j’espère que l’organisme va pouvoir se redévelopper malgré cet incident

• je relance 40 générations en remplaçant le rose par du bleu
• la teinte de l’organisme prend d’abord des reflets gris avant de virer totalement gris-bleu ; il se redresse dans une sorte d’empilement de couches
soulagement, le développement a repris

• j’injecte ces trois nouvelles évolutions dans l’entraînement et décide d’intégrer le phénomène des couches dans le prompt
• 40 générations de plus
• même si les couches se renforcent, l’évolution est plutôt mineure,l’organisme régresse même vers le noir
il est certainement un peu en manque de diversité, en vase clos sur lui-même dans l’entraînement, est-ce que je dois intervenir ?

• je décide de relancer 40 générations
• je double le paramètre de hasard dans le prompt afin d’avoir de nouveaux matériaux à intégrer à l’entraînement
• très peu d’évolution ; je relance 40 générations supplémentaires, l’organisme commence à former une spirale, mais l’hypothèse du manque de diversité se confirme
l’organisme stagne dans l’entraînement avec des « congénères » ayant des caractéristiques trop similaires, je ne peux pas le laisser dans cet état

• je décide d’intervenir sur l’entraînement lui-même, il contient 12 organismes, j’en injecte 6 qui présentent des variantes de forme et de teinte significatives
• les organismes exogènes sont crées sur la même base de prompt mais en débranchant l’entraînement
• je remets le paramètre de hasard du prompt à son niveau initial et relance 40 générations
l’expérience est un succès avec 4 évolutions majeures, l’organisme gagne en complexité, j'ai toutefois la sensation d'avoir contrevenu au protocole

• j’intègre les nouvelles évolutions à l’entraînement et relance 40 générations, mes critères de sélection sont la diversité et la complexité
• l’organisme semble se déstructurer, créant des maillages plus complexes

• dans les 40 générations suivantes l’organisme semble de nouveau stagner dans cette forme
• j’émets l’hypothèse que peut-être certaines caractéristiques formelles du prompt qui avaient guidé les débuts de son évolution sont devenues un cadre trop fermé, je décide de les supprimer pour voir si l’organisme prend de nouvelles directions
• retrait des idées relatives au recourbement de la forme sur elle-même, à sa perforation et à l'empilement

• 40 générations
• validation partielle de l'hypothèse, une nouvelle forme apparaît effectivement mais un seul résultat n'est pas assez probant

• je relance donc 40 générations, la nouvelle direction se maintient, confirmant l’hypothèse selon laquelle en l’absence d’intervention précise sur la forme l’organisme finit par trouver un chemin de lui-même
toutefois à ce stade je ressens une certaine frustration, je pensais que dans cet espace vide l’organisme allait se développer avec plus de créativité

• j’injecte 6 nouvelles formes libres dans l’entraînement et relance 40 générations
• malgré ça l’organisme ne se développe pas comme je l’espérais
• sa forme évolue mais sans développement vraiment significatif, par moments elle semble même revenir à son état initial
tout ça est assez décourageant

Premier bilan après 560 itérations : l’entraînement contient chaque évolution, il crée un cadre, une histoire. Comme la génétique il impose des caractéristiques, et comme elle il peut devenir enfermant s’il ne s’enrichit pas. Le prompt, lui, est comme l’environnement, il vient perturber la génétique, il force le hasard. Moi je sélectionne ce qui finit dans la génétique, ce qui survit et se développera. Je vais donc influer plus sur l’environnement pour enrichir la génétique.

• 40 nouvelles générations en injectant l’idée d’insecte dans le prompt
• des appuis, des pattes, des organes semblent se former petit à petit

• 40 générations supplémentaires sur la même base, des formes biologiques commencent clairement à apparaître
j’ai bon espoir que lorsque la génétique de l’entraînement aura été nourrie avec suffisamment de diversité il y aura un déclencheur créatif

• 40 générations de plus, variation de teinte, des formes animales semblent vouloir émerger des volumes flasques

• 80 générations : des formes végétales, des antennes, des mandibules semblent se former

• 80 générations suivantes
• je pense avoir atteint un point d’autonomie, le prompt est stable, je ne fais plus varier que la teinte, l’entraînement est diversifié
• les générations sont riches, les pattes et tentacules de plus en plus courantes, l’organisme prend une tendance maritime assez affirmée
c’est très réjouissant de le voir ainsi évoluer presque seul, il est de plus en plus difficile de faire une sélection

• 80 générations
• variation de teinte à nouveau uniquement, le développement s’oriente maintenant clairement vers un organisme de milieux humide, avec quelques aptitudes terrestres et quelques caractéristiques végétales
il faut reconnaître qu’il devient vraiment très attachant

• 120 générations
• après une nouvelle variation de teinte l’organisme s'oriente vers un état plus menaçant, plus terrestre aussi
• pattes plus acérées ou couvertes de stries, attitudes plus défensives
• hypothèse : la variable couleur influence les caractéristiques développées, le choix de couleurs d’alerte, jaune et rouge, a peut-être conduit l’organisme sur le terrain de la prédation
• je les injecte tout de même dans l’entraînement
l’idée que le développement puisse m’échapper me traverse l’esprit

• 120 nouvelles générations
j’ai commis une erreur en injectant les évolutions prédatrices dans l’entraînement, quoi que je fasse l’organisme stagne dans cet état

• je décide de mettre fin à l’expérience en injectant le matériau initial directement dans le prompt
• l’organisme se rétracte progressivement et régresse jusque retrouver sa forme de départ

Bilan final : un sentiment très troublant à l'issue de cette expérience. À la question de départ — savoir si les itérations pouvaient faire naître une forme d'évolution — la réponse est évidemment oui. J'ai cependant beaucoup de mal à faire la part des choses entre ce qui relève de mon intervention et de la créativité de la machine, entre la statistique et la causalité aussi. Si le prompt est comme l'environnement et l'entraînement comme le patrimoine génétique, alors il semble bien qu'il y ait les premières bribes d'une causalité (le bleu entraîne un développement maritime, les formes maritimes des pinces, etc.). Les seules variations de l'environnement (prompt) ne suffisent pas à engendrer la créativité si la génétique n'est pas diversifiée (entraînement) : l'organisme devient stérile. En revanche, sur une base d'entraînement suffisamment riche, il existe des prompts qui permettent une infinité de variations créatives. La recherche de ces conditions devrait peut-être faire l'objet de nouvelles études. Je vais conserver l'ADN de l'organisme primitif.